Le prisonnier
Il était comme fou. Fou. Fou furieux à vrai dire depuis qu’il avait été capturé. Une rage en perpétuel grondement montait du fond de sa poitrine, du plus profond de son cœur. Des questions sans suites, sans réponses, tourbillonnées en essaim affolé dans sa tête. Que lui voulaient ces hommes ? Où était-il ? Pourquoi ? Pourquoi…
Nul réponse, nul parole. Il restait seul avec sa peur. Ses gardiens ne s’adressaient pas à lui, jamais. De toute manière leur langage était par trop différent du sien pour qu’il puisse comprendre quelque chose.
Après une longue traque là bas dans ces montagnes qu’il pensait paisibles et protectrices tel la tendresse d’une mère, il avait été brutalement saisi, capturé, ligoté de cordes et de chaînes tel un hors la loi. Il n’était pas cela. Il n’aspirait qu’à vivre en paix au milieu des siens. Il était leur chef. Fort. Puissant. Alors ces hommes étaient venus, armés de fusils, semant la panique avec leurs hélicoptères gris. Il s’était enfui. Seul. Toujours plus loin. Entraînant à sa suite la meute des hommes, il avait lutté mais il n’avait pas failli. Les siens avaient pu trouver un refuge plus au sud, vers des vallées si étroites et si escarpées que nul ne pourrait les en déloger.
Impuissant sous ces liens qui lui sciaient les membres, il avait été emporté, terrifié, le cœur battant de colère et de rage.
Tournant nerveusement en rond dans sa prison, il ne cessait de ce demander pourquoi il était ici, prisonnier. Que lui voulait ces étrangers… Un carré de 3 mètres sur 3, une porte renforcée de barreaux en fer, sans fenêtre, sans issu. Il était coincé, le savait et cette conscience le rendait plus fou encore. Les premiers jours il s’était jeté de toute sa force, de tout son poids, contre les murs, la porte, hurlant de fureur impuissante. Il n’avait réussi qu’à se blesser superficiellement sans que rien n’en soit ébranlé.
A présent, fatigué par cette lutte inutile il attendait la suite. Quelque chose viendrait de ces étrangers brutaux et trop sur d’eux, il le savait et le redoutait. Qu’allait-il lui faire…
Parfois il appuyait sa tête aux longues mèches noir, salies et emmêlées lors de sa traque, afin d’espérer apercevoir un coin de ciel, respirer un souffle de vent. Mais rien. Sa prison donnait sur un couloir obscur qui desservait d’autres cellules, toutes aussi grises et sombres que la sienne. D’autres, tout à coté, étaient prisonniers. Comme lui. Quoique en réalité ils fussent bien différents de ce qu’il était lui-même. Il le sentait sans même les voir, dans leur simple respiration. Car eux, s’étaient résignés à leur sort. Ils n’étaient plus maintenant que des esclaves, avilis, ayant renoncé à tout espoir, à toute envie, à toute idée de liberté. Avec un sentiment d’horreur il les entrapercevait, passant devant les barreaux de sa cellule, la démarche traînante de machine sans âme et sans pensée. Ils n’avaient plus rien d’êtres autonomes : ils avaient tous abdiqué.
Maintes fois depuis le début de son incarcération il avait tenté un dialogue, un mot, une question vers ses compagnons de misère ; mais rien. Ils se contentaient de lui lancer un bref regard éteint, puis la tête basse, ils passaient ainsi, suivant humble et soumis leur geôlier.
Parfois, la nuit, lorsque la vigilance des gardiens déclinait, il percevait des murmures provenant des autres détenus. Le cœur battant il les appelait d’une voix frémissante d’espoir. Un silence pesant s’installait et nul ne répondait à ses instances. Frustré, malheureux, il demeurait seul avec ses incertitudes et ses craintes… Lui qui avait été un chef de clan respecté, n’était plus qu’une ombre incertaine au fond d’un cachot insalubre.
Puis un jour les étrangers sont entrés. Ils ne se sont plus contentés de le regarder de loin en bavardant entre eux. Ce jour là ils ont ouvert la lourde porte, repoussé les barreaux et pénétré dans la cellule.
Fièrement il a redressé la tête, ne voulant leur dévoiler sa peur. D’une ample respiration il a gonflé sa large poitrine, rejetant sa tête en arrière, les toisant de ses yeux noirs, profonds, qui ne cillèrent même pas lorsqu’il vit les cordes et les fouets. Il ne recula pas. Il les considéra froidement, une lueur sauvage et déterminé dansant au fond de sa prunelle sombre. Il se rappela sa terre, ces espaces immenses et libres et cela le gonfla d’un surcroît de courage. Il ne se soumettrait pas.
Cependant ils étaient les plus nombreux. Les plus forts. Les fouets et les bâtons, les cordes et les liens eurent en partie raison de sa résistance. Il fut traîné dans le couloir. Dans un sursaut de volonté il réussit à s’échapper de leurs mains brutales. Il courut droit devant lui, aussi vite qu’il le pouvait, enfilant le couloir tout en béton grisâtre à une allure irréelle, le cœur prêt à exploser d’un espoir fou. Ses geôliers hurlaient à ses trousses. Toujours aussi vite il déboucha enfin hors de ces murs qui l’avaient tenu incarcéré si longtemps, ébloui tout à coup par ce soleil dont il avait été privé. Il faillit trébucher mais se repris dans un ultime effort, continuant sa course insensée à la recherche de sa liberté perdue. Brusquement ses pieds foulèrent une épaisse couche de sable blanc. Devant lui se dressa soudain une palissade colossale. Infranchissable. Presque hors d’haleine il tenta néanmoins de la sauter, mais nul ne l’aurait pu. Il retomba lourdement sur le dos, où il resta étendu quelques secondes, à demi étourdi, hébété de désespoir. Les étrangers étaient déjà sur lui. Il reposa la tête dans le sable et ferma les yeux. Il serait si bon de rester là au creux de ce sable tiède et de tout oublier. Ses mèches brunes, un peu longues, faisait un contraste étonnant avec le sable clair de l’arène. Seul l’œil d’un peintre aurait pu en percevoir toute la terrible beauté. Bientôt il y aurait des cris et de la souffrance et peut être son sang serait-il bu par cette poussière avide.
Comme on fait un testament il se prépara à mourir.
Une voix douce claqua suffisamment sèchement pour stopper la violence des hommes. Un ordre. Un seul et ils se reculèrent en bougonnant.
Une main douce, si bizarrement douce sur son front brûlant. Jamais il n’eut pu croire qu’une main puisse être aussi tendre. La voix à ses oreilles était comme une onde apaisante, il se redressa, les yeux grands ouvert. Incrédule.
– Mademoiselle ! Non ! Il est dangereux !
Elle ne sembla rien entendre. Ses doigts repoussèrent lentement ses crins emmêlés. Il se redressa tout à fait et secoua le sable accumulé sur sa robe noire, plus sombre que de l’ébène. Un voile de poudre d’or sembla un instant les auréoler tous les deux. Il tendit son encolure immense et respira avidement son parfum aussi délicat que celui d’une fleur fraîchement éveillée. Ses naseaux emperlés de sueur lui chatouillèrent le cou, la faisant rire. Il s’ébroua en repoussant sa crinière mais à présent nulle crainte n’habitait plus son regard perdu.
Elle tendit simplement une main apaisante qui offrait toute la paix du monde. Elle murmura pour lui seul :
– Tu t’appelleras Géricault…